Du Signe de K1 à U4, ou la fraternité en écriture
Depuis toujours,
je suis fascinée par les coïncidences, les hasards, les rencontres improbables,
les synchronicités, qui peuvent paraître orchestrés dans un but qui échapperait
à notre conscience. Ils tissent des liens entre des lieux, des objets, des
personnes éloignées, ou qui ne se connaissaient tout simplement pas, et nous
rappellent que nous sommes tous reliés, petites particules d’un grand tout
originel, tous frères, en somme.
En août 2010 et
mars 2011, les éditions Syros publiaient mon premier diptyque de
science-fiction, Le Signe de K1.
Pour mémoire, en voici l’argument : Début
du XXIVe siècle. Le niveau des eaux a considérablement monté à la surface du
globe. Réduite à une dizaine de milliers d'habitants, la population de la Terre
s'est réfugiée dans les Hauts Monts du Karakoram. Vingt-deux Pionniers et leurs
familles sont enrôlés pour un voyage
dans le temps qui les ramènera en 2020. Leur mission : préparer
l’exode des survivants, à la fois « colonisateurs temporels » et
réfugiés climatiques… Parmi ces pionniers, Kane Adamsohn fait partie de ces
volontaires qui ont accepté de s'intégrer discrètement à la population pour
préparer l'exode des survivants. Sa
femme Lilian et leurs deux enfants, Kali (17 ans) et Tsilla (9 ans), feront
partie du voyage.
Bon, ça, c’est pour le
prologue.
Le lecteur est ensuite
embarqué en 2020 et propulsé dans le quotidien de la famille du Docteur Rieu.
Sa fille, Pauline suit sa scolarité à la Winner’s School, où l’enseignement est
réservé à l’élite. Nous retrouvons très vite Kali, rebaptisé Luka Damson, qui
n’a aucun souvenir de sa vie passée (enfin, de sa vie au XXIVe siècle), et va faire la connaissance de Pauline.
Or, peu de temps après
l’arrivée de la famille Damson (alias
Adamsohn), une mystérieuse épidémie éclate dans la ville, puis se propage très vite dans tout le pays. Pour
une raison inconnue, certains sont naturellement immunisés contre le virus
pourtant mortel : des adolescents,
tous hors norme, repérés par les autorités et estampillés X-Cases. Angelo, le
frère de Pauline, en fait partie. Et si l’avenir de l’humanité reposait
justement sur eux ?
*
Ceci pour rafraîchir la
mémoire des lecteurs du Signe de K1 et
affranchir ceux qui seraient passés à côté.
Pour ceux d’entre vous qui
se seraient contentés de lire ce qui précède en diagonale, je vais me montrer
charitable et résumer en quelques mots l’idée à retenir. Les mots clés qui se
dégagent de ces 630 pages (deux ans de boulot, les gars, ben oui, tout de
même !) pourraient donc être les suivants :
—
Dystopie
—
Épidémie
—
Virus
inconnu
—
Panique
parmi la population, scènes de pillage et de violence, autorités vite dépassées
par les événements
—
Ados
immunisés naturellement sans qu’on en connaisse la raison
—
Voyage
dans le temps
—
Retour
dans le passé, seule solution pour éviter la catastrophe
De troublantes coïncidences
Regardons maintenant le
pitch d’U4 :
Un virus a décimé 90 % de la population.
Seuls survivent les adolescents et
une poignée d'adultes qui organisent l'état d'urgence, sorte de gouvernement
militaire occupé à traquer pillards
et rebelles. Les 4 protagonistes vont donc apprendre à survivre
seuls, dans un monde qui devient de plus en plus dangereux. Mais alors, qu'est-ce
qui les lie ? Tout simplement, un jeu en ligne appelé "Warriors of
Times" (ou WOT pour les intimes). Comme beaucoup de jeux, celui-ci possède
des niveaux et les protagonistes sont tous des experts. Ils reçoivent un
mystérieux message de Khronos, leur disant d'aller à Paris le 24 décembre afin
de trouver un moyen de contrer ce virus.
La solution : remonter le temps…
Il s'agit donc d'une dystopie, dont le point de départ est une épidémie, le récit d'un chaos dû à la propagation d'un virus d'origine inconnu contre lequel seuls les adolescents sont immunisés, lesquels ont une chance de sauver l'humanité à condition d'effectuer un retour dans le passé... Oui, oui, vous avez bien lu !
Il va de soi que les idées appartiennent à tout le
monde – c’est-à-dire à personne – et qu’il est fréquent de retrouver des thèmes
voisins d’un roman à l’autre. En m’intéressant de plus près à ce qui a été
présenté comme le phénomène
littéraire de la rentrée, j’ai donc juste pensé « Tiens, c’est rigolo,
ça me rappelle quelque chose… » et j’ai salué in petto le petit clin d’œil que m’avaient fait mes camarades. Clin
d’œil qui n’était d’ailleurs pas forcément volontaire, tant il est vrai que certaines idées sont
parfois « dans l’air du temps » et se promènent librement d’un
ouvrage à l’autre, d’une année sur l’autre, sans que les auteurs des livres plus
récents aient forcément lu ceux de leurs prédécesseurs.
Aussi me contenterai-je de rendre hommage à Carl
Gustav Jung et à sa célèbre notion d’inconscient
collectif… Je crois d’ailleurs en une sorte de fraternité de pensée qui
unit les écrivains d’une même époque et conduit leurs écrits à se rejoindre sur
des thèmes majeurs, consciemment ou inconsciemment.
Un clin d’œil… à la hussarde
Toujours attentive aux coïncidences (vous connaissez
maintenant l’un de mes dadas, auquel mon intérêt pour la mécanique quantique
n’est sans doute pas étranger), je n’ai pu m’empêcher de remarquer une autre
convergence troublante : la référence à une œuvre majeure de la
littérature française, Le Hussard sur le
toit.
Comment écrire un roman construit sur le thème de
l’épidémie sans songer à Camus et Giono, mais aussi à Œdipe roi de Sophocle, au Fléau
de Stephen King, au Huitième Jour
d’Hervé Bazin, à Pars vite et reviens
tard de Fred Vargas, ou même à Rhinocéros
ou Matin brun, me direz-vous ? Entièrement
d’accord ! C’est pourquoi, en ouvrant l’un des quatre volumes d’U4 et en découvrant, en exergue, une
citation de Giono, j’ai été ravie de constater que ma camarade auteur et
moi-même avions non seulement le même goût pour la dystopie, le même intérêt
pour le thème de l’épidémie (entre autres), mais également les mêmes références
littéraires !
Poursuivant ma lecture et poussant la comparaison un
peu plus loin, j’ai trouvé que le hasard était décidément un sacré farceur.
Jugez plutôt.
Ayant lu et relu le Hussard (comme l’appellent les universitaires) maintes fois depuis
trente ans, je peux dire que c’est un de mes livres cultes, de la même façon
que je considère Giono comme une sorte de père spirituel. C’est pourquoi j’ai
truffé Le Signe de K1 de références à
cette œuvre majeure, dont je suis littéralement imprégnée.
—
Les personnages principaux du Signe de K1 sont deux adolescents,
Angelo et Pauline Rieu, allusion croisée au Hussard
et à La Peste (le héros de Camus se
nomme Bernard Rieux, celui de Giono Angelo Pardi, il rencontre
une certaine Pauline de Théus, dont le père est médecin).
—
Prologue du tome 1, page 25, l’allocution
télévisée du président se termine brutalement, laissant la population « béate et muette ». Clin d’œil
littéraire à la 1ère ligne du Hussard :
« L’aube surprit Angelo, béat et
muet, mais réveillé. »
—
Tome 1, chapitre 1, page 37, le premier
personnage qui apparaît est Angelo. Or, c’est l’aube et il se trouve sur
le toit de sa maison, comme le hussard, contemplant une ville écrasée de
chaleur. L’allusion littéraire est ici destinée à annoncer le motif de
l’épidémie : dans le roman de Giono, le jeune Angelo traverse une Provence
ravagée par le choléra lors d’un été torride et se réfugie à plusieurs reprises
sur les toits. Dans mon roman, tout est encore très calme, mais la référence
littéraire fait peser sur le personnage une menace encore diffuse dont on peut
deviner la teneur.
—
Page 270, le jeune artiste plasticien
Francesco Pardi, (son prénom à consonance italienne et son patronyme ne doivent,
bien sûr, rien au hasard), est lynché par un groupe de fous furieux qui
l’accusent d’avoir répandu le virus et causé la mort de leurs proches.
Extrait (dialogue
entre le capitaine Fournier et le docteur Rieu) :
-
Pardi a été
agressé chez lui par une douzaine de personnes en furie. Des citoyens comme
vous et moi. Ils ont défoncé sa porte en hurlant que c’était à cause de lui que
leur femme, leur mari, leur enfant, leur frère ou leur sœur étaient morts, que c’était lui qui
avait répandu le virus de la sale grippe…
-
Mais c’est
totalement absurde, dit Rieu, consterné.
-
Des témoins
les ont entendus hurler : « Il nous a empoisonnés avec ses tableaux
bourrés de virus ! Il a pollué l’air de nos maisons. Il a jeté du poison dans les arrivées d’eau potable. Ne buvez
plus l’eau du robinet ! D’autres gueulaient : « C’est un
étranger. Personne ne sait d’où il vient ! Un terroriste ! » Ou encore : » Il est payé par le gouvernement. On ne
le laissera pas faire ! À mort
l’empoisonneur ! »
Je voulais faire ici allusion à la fameuse scène du
chapitre VI du Hussard, où Angelo,
tout juste arrivé à Manosque, veut se laver dans une fontaine. Un groupe
d’hommes en furie l’attrape et le roue de coups, l’accusant d’avoir voulu
empoisonner l’eau de la ville et hurlant : « C’est lui. Pendez-le ! À
mort ! ». Sauvé in extremis par l’intervention d’un inconnu, Angelo
se réfugie sur les toits, d’où il assistera, quelques jours plus tard, au
massacre d’un homme accusé lui aussi d’être un empoisonneur.
Quelle n’a
été ma surprise en m’apercevant que ma consœur avait elle aussi choisi de
reprendre cette scène dans U4 !!!
C’est aux
pages 64 et 65 : le 2 novembre après-midi, alors que Yannis, le héros,
arrive à Manosque, il va se désaltérer à une fontaine et est agressé par un
groupe de jeunes hystériques qui l’accusent d’avoir jeté du poison dans l’eau.
« Si on le pendait, hein, l’empoisonneur ? » s’écrie l’un d’eux. « Il fait partie du complot ! Ils l’ont
envoyé pour nous tuer, nous aussi. Ils
veulent nous éliminer (…) Qu’il crève ! »
Du Hussard au
Signe de K1, du Signe de K1 à Yannis, que
de résonances décidément de plus en plus troublantes, n’est-ce pas ? Quelle
magnifique osmose !
Non ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas
dit : je constate simplement que lorsqu’on choisit de traiter des sujets
aussi proches, l’inévitable se produit : les inconscients
chuchotent ! Pour ma part, je trouve cela assez extraordinaire !
Pour finir, je mentionnerai une autre coïncidence, Le Signe de K1 et U4 ont également en commun… une maison d’édition ! Laquelle abrite
en son sein des gens qui, eux, avaient obligatoirement lu mon texte, puisqu’ils
l’ont publié. Ont-ils omis de faire le rapprochement ? Certes, deux années
s’étaient écoulées lorsque le projet U4
leur a été présenté, ce qui explique sans doute leur trou de mémoire. À moins
qu’ils ne se soient dit au contraire : « Tiens, on a loupé le coche
avec Le Signe de K1, là, on va se
rattraper et mettre le paquet. Côté marketing : du jamais vu en
littérature jeunesse made in France, on matraque, on déploie la puissance de
feu d’un croiseur, on arrose, on mitraille, bref, ça va déchirer ! »
Yes ! Je confirme. Bravo, les mecs. Ça
a marché. Et tant mieux pour Yves, Vincent, Carole et Florence. Grâce à eux,
des éditeurs nous ont montré qu’ils avaient les c… pour défendre réellement leurs auteurs et leur donner
une chance d’exister face au rouleau compresseur anglo-saxon. Alors maintenant,
entre nous soit dit, on est tous derrière vous et on attend… que vous fassiez
la même chose pour nous ! Hé, hé, hé…
Quoi qu’il en soit, le succès d’U4 est incontestablement mérité. Par delà les convergences, coïncidences,
et rapprochements troublants que j’ai mentionnés, l’histoire racontée dans Yannis, Jules, Koridwen et Stéphane demeure très différente de
celle qui se déploie dans Le Signe de K. Quant
au concept, il est tout à fait original et totalement inédit. Un grand bravo à
leurs auteurs avec lesquels je me sens, plus que jamais, en fraternité.
Quant aux nombreux lecteurs qui se sont régalés avec U4, je ne peux que les encourager à se
plonger dans l’univers du Signe de K1.
Ce diptyque est, à mon sens, d’autant plus susceptible de les séduire qu’il
leur offrira une sorte d’écho que mon côté oulipien tendrait à qualifier de
« plagiaire par anticipation » !
Bonne lecture à tous, et prenez soin de vous, la vie
est précieuse.
Claire Gratias, le 15 mars 2016
*
L’avis de
Ricochet sur Le Signe de K1 :
« Un cycle d’anticipation
très prometteur car ce premier tome se lit d’une traite. Au cœur du roman,
s’entremêlent des thèmes importants qui concernent les humains d’aujourd’hui :
le réchauffement climatique et les bouleversements qui en découlent, la
stigmatisation des différences, la pression exercée sur les citoyens au nom
d’une certaine idée de la réussite, les manipulations politiques et génétiques,
plus que discutables. C’est intelligemment mené. »
*
L’avis du
Cafard Cosmique :
« Claire Gratias sert une fiction très
construite mais pas formelle pour autant. Roman à la tension constante – on
sent ici la maîtrise de l’auteur de polars –, l’histoire d’Angelo, Luka et
Pauline est prenante et efficace. Claire Gratias insuffle dans des thématiques
assez classiques – inquiétude écologique, voyage dans le temps et société
totalitaire – mais utilisées à bon escient, un coup de jeune qui donne à ce roman
une étonnante vivacité. »
*
L’avis de
Lirado :
« L’histoire est crédible, innovante et elle est surtout captivante,
les événements s’enchaînant avec une rapidité tempérée et dans un timing
parfaitement huilé.
Surtout Le Signe de K1 ne se contente pas d’explorer la piste
du voyage temporel mais c’est aussi, on le sent dés le début, les sujets de
l’amour, des pouvoirs paranormaux, des sociétés de plus en plus élitistes et de
l’environnement dont il sera question également dans Le Protocole de Nod
et sa suite.
Mettant en scène deux familles, l’une venant du futur, l’autre plus
normale, Claire Gratias dans Le Signe de K1 nous invite à suivre
le chemin de chacun dans leurs histoires qui se complètent et se distinguent
offrant de nombreuses pistes pour la suite, que je considère comme très
prometteuse.
Au niveau du style, c’est très fluide et aéré, avec de nombreux dialogues,
permettant d’avancer très vite dans la lecture sans ressentir une seule page
une sensation d’ennui.
Claire Gratias signe un excellent roman de SF avec Le Signe de K1
qui par la variété de son contenu et son action soutenue nous embarque dans une
histoire palpitante. »