mardi 15 mars 2016

Du "Signe de K1" à "U4"

Du Signe de K1 à U4, ou la fraternité en écriture

Depuis toujours, je suis fascinée par les coïncidences, les hasards, les rencontres improbables, les synchronicités, qui peuvent paraître orchestrés dans un but qui échapperait à notre conscience. Ils tissent des liens entre des lieux, des objets, des personnes éloignées, ou qui ne se connaissaient tout simplement pas, et nous rappellent que nous sommes tous reliés, petites particules d’un grand tout originel, tous frères, en somme.
En août 2010 et mars 2011, les éditions Syros publiaient mon premier diptyque de science-fiction, Le Signe de K1.
Pour mémoire, en voici l’argument : Début du XXIVe siècle. Le niveau des eaux a considérablement monté à la surface du globe. Réduite à une dizaine de milliers d'habitants, la population de la Terre s'est réfugiée dans les Hauts Monts du Karakoram. Vingt-deux Pionniers et leurs familles sont enrôlés pour un voyage dans le temps qui les ramènera en 2020. Leur mission : préparer l’exode des survivants, à la fois « colonisateurs temporels » et réfugiés climatiques… Parmi ces pionniers, Kane Adamsohn fait partie de ces volontaires qui ont accepté de s'intégrer discrètement à la population pour préparer l'exode des survivants.  Sa femme Lilian et leurs deux enfants, Kali (17 ans) et Tsilla (9 ans), feront partie du voyage.
Bon, ça, c’est pour le prologue.
Le lecteur est ensuite embarqué en 2020 et propulsé dans le quotidien de la famille du Docteur Rieu. Sa fille, Pauline suit sa scolarité à la Winner’s School, où l’enseignement est réservé à l’élite. Nous retrouvons très vite Kali, rebaptisé Luka Damson, qui n’a aucun souvenir de sa vie passée (enfin, de sa vie au XXIVe siècle), et va faire la connaissance de Pauline.
Or, peu de temps après l’arrivée de la famille Damson (alias Adamsohn), une mystérieuse épidémie éclate dans la ville, puis se propage très vite dans tout le pays. Pour une raison inconnue, certains sont naturellement immunisés contre le virus pourtant mortel : des adolescents, tous hors norme, repérés par les autorités et estampillés X-Cases. Angelo, le frère de Pauline, en fait partie. Et si l’avenir de l’humanité reposait justement sur eux ?

  

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Ceci pour rafraîchir la mémoire des lecteurs du Signe de K1 et affranchir ceux qui seraient passés à côté.
Pour ceux d’entre vous qui se seraient contentés de lire ce qui précède en diagonale, je vais me montrer charitable et résumer en quelques mots l’idée à retenir. Les mots clés qui se dégagent de ces 630 pages (deux ans de boulot, les gars, ben oui, tout de même !) pourraient donc être les suivants :

     Dystopie
     Épidémie
     Virus inconnu
     Panique parmi la population, scènes de pillage et de violence, autorités vite dépassées par les événements
     Ados immunisés naturellement sans qu’on en connaisse la raison
     Voyage dans le temps
     Retour dans le passé, seule solution pour éviter la catastrophe


De troublantes coïncidences


Regardons maintenant le pitch d’U4 :

Un virus a décimé 90 % de la population. Seuls survivent les adolescents et une poignée d'adultes qui organisent l'état d'urgence, sorte de gouvernement militaire occupé à traquer pillards et rebelles. Les 4 protagonistes vont donc apprendre à survivre seuls, dans un monde qui devient de plus en plus dangereux. Mais alors, qu'est-ce qui les lie ? Tout simplement, un jeu en ligne appelé "Warriors of Times" (ou WOT pour les intimes). Comme beaucoup de jeux, celui-ci possède des niveaux et les protagonistes sont tous des experts. Ils reçoivent un mystérieux message de Khronos, leur disant d'aller à Paris le 24 décembre afin de trouver un moyen de contrer ce virus. La solution : remonter le temps
Il s'agit donc d'une dystopie, dont le point de départ est une épidémie, le récit d'un chaos dû à la propagation d'un virus d'origine inconnu contre lequel seuls les adolescents sont immunisés, lesquels ont une chance de sauver l'humanité à condition d'effectuer un retour dans le passé... Oui, oui, vous avez bien lu !


Il va de soi que les idées appartiennent à tout le monde – c’est-à-dire à personne – et qu’il est fréquent de retrouver des thèmes voisins d’un roman à l’autre. En m’intéressant de plus près à ce qui a été présenté comme le phénomène littéraire de la rentrée, j’ai donc juste pensé « Tiens, c’est rigolo, ça me rappelle quelque chose… » et j’ai salué in petto le petit clin d’œil que m’avaient fait mes camarades. Clin d’œil qui n’était d’ailleurs pas forcément  volontaire, tant il est vrai que certaines idées sont parfois « dans l’air du temps » et se promènent librement d’un ouvrage à l’autre, d’une année sur l’autre, sans que les auteurs des livres plus récents aient forcément lu ceux de leurs prédécesseurs.
Aussi me contenterai-je de rendre hommage à Carl Gustav Jung et à sa célèbre notion d’inconscient collectif… Je crois d’ailleurs en une sorte de fraternité de pensée qui unit les écrivains d’une même époque et conduit leurs écrits à se rejoindre sur des thèmes majeurs, consciemment ou inconsciemment.


Un clin d’œil… à la hussarde

Toujours attentive aux coïncidences (vous connaissez maintenant l’un de mes dadas, auquel mon intérêt pour la mécanique quantique n’est sans doute pas étranger), je n’ai pu m’empêcher de remarquer une autre convergence troublante : la référence à une œuvre majeure de la littérature française, Le Hussard sur le toit.
Comment écrire un roman construit sur le thème de l’épidémie sans songer à Camus et Giono, mais aussi à Œdipe roi de Sophocle, au Fléau de Stephen King, au Huitième Jour d’Hervé Bazin, à Pars vite et reviens tard de Fred Vargas, ou même à Rhinocéros ou  Matin brun, me direz-vous ? Entièrement d’accord ! C’est pourquoi, en ouvrant l’un des quatre volumes d’U4 et en découvrant, en exergue, une citation de Giono, j’ai été ravie de constater que ma camarade auteur et moi-même avions non seulement le même goût pour la dystopie, le même intérêt pour le thème de l’épidémie (entre autres), mais également les mêmes références littéraires !
Poursuivant ma lecture et poussant la comparaison un peu plus loin, j’ai trouvé que le hasard était décidément un sacré farceur.
Jugez plutôt.
Ayant lu et relu le Hussard (comme l’appellent les universitaires) maintes fois depuis trente ans, je peux dire que c’est un de mes livres cultes, de la même façon que je considère Giono comme une sorte de père spirituel. C’est pourquoi j’ai truffé Le Signe de K1 de références à cette œuvre majeure, dont je suis littéralement imprégnée.

     Les personnages principaux du Signe de K1 sont deux adolescents, Angelo et Pauline Rieu, allusion croisée au Hussard et à La Peste (le héros de Camus se nomme Bernard Rieux, celui de Giono Angelo Pardi, il rencontre une certaine Pauline de Théus, dont le père est médecin).
     Prologue du tome 1, page 25, l’allocution télévisée du président se termine brutalement, laissant la population « béate et muette ». Clin d’œil littéraire à la 1ère ligne du Hussard : « L’aube surprit Angelo, béat et muet, mais réveillé. »
     Tome 1, chapitre 1, page 37, le premier personnage qui apparaît est Angelo. Or, c’est l’aube et il se trouve sur le toit de sa maison, comme le hussard, contemplant une ville écrasée de chaleur. L’allusion littéraire est ici destinée à annoncer le motif de l’épidémie : dans le roman de Giono, le jeune Angelo traverse une Provence ravagée par le choléra lors d’un été torride et se réfugie à plusieurs reprises sur les toits. Dans mon roman, tout est encore très calme, mais la référence littéraire fait peser sur le personnage une menace encore diffuse dont on peut deviner la teneur.
     Page 270, le jeune artiste plasticien Francesco Pardi, (son prénom à consonance italienne et son patronyme ne doivent, bien sûr, rien au hasard), est lynché par un groupe de fous furieux qui l’accusent d’avoir répandu le virus et causé la mort de leurs proches.
Extrait (dialogue entre le capitaine Fournier et le docteur Rieu) :

-       ­Pardi a été agressé chez lui par une douzaine de personnes en furie. Des citoyens comme vous et moi. Ils ont défoncé sa porte en hurlant que c’était à cause de lui que leur femme, leur mari, leur enfant, leur frère ou leur sœur  étaient morts, que c’était lui qui avait répandu le virus de la sale grippe…
-       Mais c’est totalement absurde, dit Rieu, consterné.
-       Des témoins les ont entendus hurler : « Il nous a empoisonnés avec ses tableaux bourrés de virus ! Il a pollué l’air de nos maisons. Il a jeté du poison dans les arrivées d’eau potable. Ne buvez plus l’eau du robinet ! D’autres gueulaient : « C’est un étranger. Personne ne sait d’où il vient ! Un terroriste ! » Ou encore : » Il est payé par le gouvernement. On ne le laissera pas faire ! À mort l’empoisonneur ! »

Je voulais faire ici allusion à la fameuse scène du chapitre VI du Hussard, où Angelo, tout juste arrivé à Manosque, veut se laver dans une fontaine. Un groupe d’hommes en furie l’attrape et le roue de coups, l’accusant d’avoir voulu empoisonner l’eau de la ville et hurlant : « C’est lui. Pendez-le ! À mort ! ». Sauvé in extremis par l’intervention d’un inconnu, Angelo se réfugie sur les toits, d’où il assistera, quelques jours plus tard, au massacre d’un homme accusé lui aussi d’être un empoisonneur.
Quelle n’a été ma surprise en m’apercevant que ma consœur avait elle aussi choisi de reprendre cette scène dans U4 !!!
C’est aux pages 64 et 65 : le 2 novembre après-midi, alors que Yannis, le héros, arrive à Manosque, il va se désaltérer à une fontaine et est agressé par un groupe de jeunes hystériques qui l’accusent d’avoir jeté du poison dans l’eau.
« Si on le pendait, hein, l’empoisonneur ? » s’écrie l’un d’eux. « Il fait partie du complot ! Ils l’ont envoyé pour nous tuer, nous aussi. Ils veulent nous éliminer (…) Qu’il crève ! »

Du Hussard au Signe de K1, du Signe de K1 à Yannis, que de résonances décidément de plus en plus troublantes, n’est-ce pas ? Quelle magnifique osmose !
Non ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je constate simplement que lorsqu’on choisit de traiter des sujets aussi proches, l’inévitable se produit : les inconscients chuchotent ! Pour ma part, je trouve cela assez extraordinaire !


Pour finir, je mentionnerai une autre coïncidence, Le Signe de K1 et U4 ont également en commun… une maison d’édition ! Laquelle abrite en son sein des gens qui, eux, avaient obligatoirement lu mon texte, puisqu’ils l’ont publié. Ont-ils omis de faire le rapprochement ? Certes, deux années s’étaient écoulées lorsque le projet U4 leur a été présenté, ce qui explique sans doute leur trou de mémoire. À moins qu’ils ne se soient dit au contraire : « Tiens, on a loupé le coche avec Le Signe de K1, là, on va se rattraper et mettre le paquet. Côté marketing : du jamais vu en littérature jeunesse made in France, on matraque, on déploie la puissance de feu d’un croiseur, on arrose, on mitraille, bref, ça va déchirer ! » Yes ! Je confirme. Bravo, les mecs. Ça a marché. Et tant mieux pour Yves, Vincent, Carole et Florence. Grâce à eux, des éditeurs nous ont montré qu’ils avaient les c… pour défendre réellement leurs auteurs et leur donner une chance d’exister face au rouleau compresseur anglo-saxon. Alors maintenant, entre nous soit dit, on est tous derrière vous et on attend… que vous fassiez la même chose pour nous ! Hé, hé, hé…
Quoi qu’il en soit, le succès d’U4 est incontestablement mérité. Par delà les convergences, coïncidences, et rapprochements troublants que j’ai mentionnés, l’histoire racontée dans Yannis, Jules, Koridwen et Stéphane demeure très différente de celle qui se déploie dans Le Signe de K. Quant au concept, il est tout à fait original et totalement inédit. Un grand bravo à leurs auteurs avec lesquels je me sens, plus que jamais, en fraternité.
Quant aux nombreux lecteurs qui se sont régalés avec U4, je ne peux que les encourager à se plonger dans l’univers du Signe de K1. Ce diptyque est, à mon sens, d’autant plus susceptible de les séduire qu’il leur offrira une sorte d’écho que mon côté oulipien tendrait à qualifier de « plagiaire par anticipation » !
Bonne lecture à tous, et prenez soin de vous, la vie est précieuse.

Claire Gratias, le 15 mars 2016

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L’avis de Ricochet sur Le Signe de K1 :
« Un cycle d’anticipation très prometteur car ce premier tome se lit d’une traite. Au cœur du roman, s’entremêlent des thèmes importants qui concernent les humains d’aujourd’hui : le réchauffement climatique et les bouleversements qui en découlent, la stigmatisation des différences, la pression exercée sur les citoyens au nom d’une certaine idée de la réussite, les manipulations politiques et génétiques, plus que discutables. C’est intelligemment mené. »

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L’avis du Cafard Cosmique :
«  Claire Gratias sert une fiction très construite mais pas formelle pour autant. Roman à la tension constante – on sent ici la maîtrise de l’auteur de polars –, l’histoire d’Angelo, Luka et Pauline est prenante et efficace. Claire Gratias insuffle dans des thématiques assez classiques – inquiétude écologique, voyage dans le temps et société totalitaire – mais utilisées à bon escient, un coup de jeune qui donne à ce roman une étonnante vivacité. »

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L’avis de Lirado :

« L’histoire est crédible, innovante et elle est surtout captivante, les événements s’enchaînant avec une rapidité tempérée et dans un timing parfaitement huilé.
Surtout Le Signe de K1 ne se contente pas d’explorer la piste du voyage temporel mais c’est aussi, on le sent dés le début, les sujets de l’amour, des pouvoirs paranormaux, des sociétés de plus en plus élitistes et de l’environnement dont il sera question également dans Le Protocole de Nod et sa suite.
Mettant en scène deux familles, l’une venant du futur, l’autre plus normale, Claire Gratias dans Le Signe de K1 nous invite à suivre le chemin de chacun dans leurs histoires qui se complètent et se distinguent offrant de nombreuses pistes pour la suite, que je considère comme très prometteuse.
Au niveau du style, c’est très fluide et aéré, avec de nombreux dialogues, permettant d’avancer très vite dans la lecture sans ressentir une seule page une sensation d’ennui.
Claire Gratias signe un excellent roman de SF avec Le Signe de K1 qui par la variété de son contenu et son action soutenue nous embarque dans une histoire palpitante. »